L'histoire du vin à Bordeaux
 
Des crus auxquels seuls les plus grands bourgognes peuvent disputer le titre de " meilleurs du monde ", une immense réputation internationale qui fait de Bordeaux la véritable Athènes de l'œnologie et la place -de loin- au premier rang en France pour la production de vins d'AOC : à tous égards le vignoble bordelais constitue un monde en soi auquel huit siècles de succès confèrent une puissance inégalée.

 

Huit siècles de succès

Les atouts du bordelais

Chateaux et classements

 

HUIT SIÈCLES DE SUCCÈS

Sans remonter aux Gallo-Romains et au poète girondin Ausone qui, au IVe siècle, chantait déjà le vin de son pays, on distingue trois grandes phases dans l'épopée des vins de Bordeaux.

1. La première commence avec le rattachement de l'Aquitaine à la couronne d'Angleterre (Xfflc-xvc siècles) : Bordeaux livre alors aux Anglais de grandes quantités d'un vin que ceux-ci nomment " Claret " (les vins de l'époque sont de couleur très claire). Quand l'Aquitaine redevient française, les exportations vers l'Angleterre se poursuivent et le négoce bordelais, loin de décliner, part à la conquête des autres clientèles de l'Europe du Nord: Pays-Bas, Allemagne, etc. Ainsi s'établit la réputation internationale des " vins de Bordeaux", c'est-à-dire en pratique des vins traités et expédiés par les négociants bordelais, quelle qu'en soit l'origine géographique.

2. L'apparition de grands crus propres à la région bordelaise date du XVIIIe siècle. C'est alors que le Médoc s'ouvre à la viticulture pour produire des vins rouges de très haute qualité - baptisés par les Anglais " New French Claret " - puisqu'au début du XIXe siècle, la maîtrise des effets de la " pourriture noble " entraîne le brillant essor des vins blancs liquoreux du Sauternais. Le négoce bordelais dispose dès lors de vins haut de gamme qui constituent de véritables produits d'appel pour l'ensemble, par ailleurs non différencié, des vins de Bordeaux. Le classement établi en 1855 reflète cette situation : seuls sont distingués les châteaux du Haut-Médoc et du Sauternais, alors que les autres vignobles de la région demeurent dans l'anonymat.

3. Vers la fin du XIXe siècle cependant, deux phénomènes vont entamer la toute-puissance du négoce traditionnel et faciliter l'avènement du vignoble bordelais moderne : d'une part, le chemin de fer, qui permet de s'affranchir de la tutelle commerciale du port de Bordeaux ; d'autre pan, la crise du phylloxéra, qui démontre combien le succès durable des vins dépend avant tout du savoir-faire des vignerons... Il s'ensuit une individualisation de plus en plus affirmée des divers terroirs, annoncée dès 1884 par la création d'un syndicat des viticulteurs de Saint-Émilion et consacrée par l'institution des AOC en 1935-1937. On assiste enfin, depuis une vingtaine d'années, au net renforcement de la position des propriétaires viti-vinicoles, aujourd'hui garants d'une qualité en constante amélioration. La structure actuelle du vignoble bordelais résulte de son évolution historique :¢ l'ensemble du département de la Gironde (sauf les communes occupées par la forêt landaise) est apte à produire des vins d'appellation Bordeaux ou Bordeaux supérieur, héritiers des vins de Bordeaux traditionnels ¢ à l'intérieur de cette aire, une trentaine de zones délimitées bénéficient d'appellations spécifiques soit pour les vins rouges (ex. : Médoc, Saint-Émilion), soit pour les vins blancs (ex. : Sauternes, Entre-Deux-Mers), soit pour les deux (ex. : Graves, Côtes de Bourg) ; ¢ au sommet de la hiérarchie se situent les châteaux classés ; de tels classements (officiels) n'existent toutefois que pour certaines appellations : Haut-Médoc et Sauternes (classement de 1855), Saint-Émilion (depuis 1955), Graves (1953-1959).

LES ATOUTS DU BORDELAIS

Huit siècles d'histoire ne suffisent pas à expliquer l'immense prestige des vins du Bordelais ; encore fallait-il que la nature - avec l'aide de l'homme, cela va de soi - s'y prêtât. Trois éléments se conjuguent, qui connaissent dans le Haut-Médoc leur expression la plus parfaite, mais se retrouvent ailleurs : le climat, les sols, les vignes elles-mêmes. 1. Doux et humide, le climat girondin n'est, en année moyenne, pas très ensoleillé... et c'est ce qui, paradoxalement, le rend bénéfique en favorisant une maturation lente et " aromatique " des raisins : l'accent se porte ainsi naturellement sur la subtilité plutôt que sur la puissance. 2. Les sols, souvent constitués d'épaisses couches de graviers (" graves ") de la rive gauche de la Garonne et de la Gironde) exigent de la vigne le meilleur d'elle-même en l'obligeant à se doter de profondes racines. Il en résulte un bon équilibre de l'alimentation en eau qui, lui aussi favorise la maturation aromatique : en période sèche, la vigne atteint la nappe phréatique ; en cas de fortes pluies, le sol graveleux se draine vite. 3. La qualité des vignes, enfin, est inséparable du savoir-faire qui les met en valeur. Peu nombreux, les cépages cultivés conviennent d'autant mieux au Bordelais que les plus nobles d'entre eux en sont originaires : les cabernets, en effet, descendent de la vigne indigène Vitis biturica cependant que le sémillon serait natif du Sauternais. Toujours est-il que trois cépages principaux donnent les vins rouges : le cabernet sauvignon (dominant en Médoc), le cabemet franc (en particulier dans le Libournais) et le merht (partout dans le Bordelais, le plus souvent en association avec les cabernets)... et trois cépages les vins blancs : le sémillon, qui représente la moitié de l'encépagement blanc du Bordelais, le sauvignon et la muscadelle, la moins répandue des trois. Quant au savoir-faire, il atteint des sommets dans le Haut-Médoc, qui s'enorgueillit de plus de deux siècles de perfectionnements ininterrompus, dans le Sauternais où la maîtrise de l'ac-tion de la " pourriture noble " demande un soin exceptionnel, ou encore à Saint-Emilion dont les vins, pourtant remarquablement typés, proviennent de terroirs très divers, voire de cépages différents...

 

 

CHÂTEAUX ET CLASSEMENTS

Une grande partie des vins du Bordelais est vendue sous le nom d'un des quelque trois mille " châteaux" que l'on recense dans le département de la Gironde. Or qu'est-ce qu'un château ? Ce peut être, bien sûr, une belle demeure (il en subsiste de nombreuses) mais c'est, avant tout, une exploitation viticole :

¢ dont le terroir est inclus dans une aire d'AOC ;

¢ dont l'existence en tant que " château " est conforme aux usages locaux, loyaux et constants ;

¢ dont le vin est, obligatoirement depuis le début des années soixante-dix, vinifié sur place.

Il résulte de cette définition :

¢ que l'on ne peut pas créer de nouveaux châteaux ;

¢ qu'en revanche l'étendue ou la consistance du vignoble exploité par tel ou tel château peut évoluer dans le temps, à condition toutefois de demeurer dans une même AOC;

¢ et qu'en définitive, dans le Bordelais, la notion de cru se rattache plus à une exploitation viticole - le " château " - qu'à un terroir déterminé... à la différence de ce qui se passe en Bourgogne où le cru correspond à un " climat ", c'est-à-dire à un terroir immuable, quels qu'en soient les propriétaires, souvent nombreux.

Les principaux châteaux, ou crus du Bordelais ont fait et font encore l'objet de divers types de classements qu'il importe de bien distinguer.

1. Le classement historique de 1855 (établi à la demande de Napoléon III dans le contexte de l'exposition universelle qui se tenait à Paris la même année) a été consacré par la tradition mais n'a jamais été officialisé ni révisé (mise à part l'accession de Mouton-Rothschild au rang de premier cru en 1973)... ce qui ne signifie du reste pas qu'en cent trente ans les qualités respectives des divers châteaux n'aient pas évolué ; toujours est-il qu'il continue de s'appliquer au Haut-Médoc (soixante châteaux, voir page ci-contre) et, théoriquement, au Sauternais.

2. Deux classements officiels ont été effectués sous l'égide de l'INAO :

¢ pour les Graves, en 1953-1959: quinze châteaux (voir page 11),

¢ pour Saint-Emilion, en 1955 : le classement, révisé en 1985, comporte soixante-quatorze châteaux (voir page 18).

3. Outre les soixante châteaux classés en 1855, le Médoc comporte près de deux cents crus dits " bourgeois ", eux-mêmes classés -la dernière fois en 1978- par le syndicat qui regroupe la majorité d'entre eux.

4. De nombreux ouvrages traitant des vins en général, et de ceux de Bordeaux en particulier, comportent des classements qui s'efforcent de refléter les performances récentes des châteaux... mais n'engagent bien sûr que la responsabilité de leurs auteurs.